Beaucoup associent inconsciemment leur estime de soi à leur capacité à accomplir. Ils se poussent sans relâche, pensant que leur valeur dépend de leurs performances. Ce comportement, souvent perçu comme de l’ambition ou du perfectionnisme, peut en réalité puiser ses racines dans une forme de blessure plus discrète mais profonde : la négligence émotionnelle durant l’enfance.
Grandir sans reconnaissance inconditionnelle
Lorsqu’un enfant évolue dans un environnement où l’amour et l’attention dépendent de ce qu’il fait plutôt que de ce qu’il est, il apprend à associer sa valeur à ses actions. Dans ces contextes, les réussites deviennent la principale monnaie pour obtenir affection et validation. Pour préserver le lien avec leurs figures d’attachement, les enfants adaptent leur comportement, apprennent à performer, à « mériter » l’amour.
Ce conditionnement peut persister à l’âge adulte : la productivité devient alors un mécanisme de survie. L’identité se construit autour des résultats, et non de l’être profond. On finit par croire que si l’on ne réussit pas, on n’a aucune valeur.
La quête sans fin de performance
Dans ma pratique, je rencontre souvent des personnes coincées dans cette spirale : toujours plus de projets, toujours plus de preuves à apporter. Mais au fond d’eux, un doute persiste : « Serais-je aimé si je ne faisais rien ? » ou encore « Pour qui suis-je en train de me battre ? ».
Derrière cette énergie débordante se cache parfois une tentative désespérée de combler un vide. Le besoin de reconnaissance extérieure supplante les désirs authentiques. Le message implicite devient : « Regardez ce que je vaux maintenant ».
Quand réussir devient vital… et échouer, insupportable
Il n’y a rien de mal à vouloir atteindre ses objectifs. Mais lorsque chaque réussite est vécue comme une condition d’acceptation, la pression devient écrasante. Et l’échec ? Il ne représente plus un simple contretemps, mais une menace existentielle. L’impression de ne plus être « quelqu’un » en l’absence de réussite peut déclencher une détresse profonde.
Ces pensées sont rarement conscientes. Mais elles influencent nos comportements, nous enfermant dans un cycle où ralentir devient synonyme de danger. Car si l’on ne performe pas, qui sommes-nous vraiment ? Et serons-nous encore aimés ?
Productivité et relations : la peur de décevoir
Ce lien entre performance et estime de soi impacte aussi nos relations. On peut craindre de perdre l’amour ou le respect de nos proches si l’on ne réussit pas, si l’on ne tient plus le rôle du « pilier », du « battant », de celui qui « assure ».
Cette peur – souvent silencieuse – crée une fatigue émotionnelle intense. On continue à avancer, à surinvestir, non pas par passion, mais par peur d’être abandonné, ignoré, ou perçu comme un échec.
Et si vous agissiez autrement ?
Quand nos objectifs sont en phase avec notre vraie nature, les succès nourrissent réellement, et les échecs ne menacent plus notre identité. Ils deviennent des expériences, des étapes de croissance. On peut alors se poser des questions plus constructives :
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Qu’ai-je appris ?
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Qu’est-ce que cela dit de mes besoins ?
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Comment puis-je avancer autrement ?
Et surtout : Est-ce que je fais cela pour moi, ou pour être reconnu ?
Repenser la notion de réussite
Certaines personnes ayant vécu des traumatismes développent une grande capacité à faire face, à « gérer » quoi qu’il arrive. Mais ce réflexe de survie peut devenir un piège. Être capable de tout faire ne veut pas dire qu’on le doit. Derrière cette endurance se cache souvent une peur de s’arrêter… car s’arrêter, c’est risquer d’affronter des émotions longtemps refoulées.
La vraie question devient : Ce rythme me sert-il encore ?
Qui suis-je en dehors de cette image de personne forte et performante ?
Redécouvrir le vrai soin de soi
Pour beaucoup, le repos ou la pause est perçu comme une faiblesse. Pourtant, le soin de soi ne se limite pas à des moments agréables ou ponctuels. Il s’agit d’un engagement profond envers soi-même, un choix de se reconnecter à ses besoins physiques et émotionnels.
Les personnes ayant connu des traumatismes ont souvent appris à ignorer les signaux de leur corps. Elles avancent, malgré l’épuisement. Car ralentir, c’est prendre le risque de ressentir… et ça peut être effrayant. Pourtant, c’est aussi le seul chemin vers la guérison.
Et si vous commenciez ici ?
Posez-vous ces questions, honnêtement :
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Pourquoi est-ce que je poursuis cet objectif ?
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Est-ce un désir personnel ou une manière de prouver quelque chose ?
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Que penserais-je de moi si j’échouais ?
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Puis-je m’autoriser à être aimé même sans accomplir ?
Sortir de ce cycle de validation extérieure, c’est retrouver une vie alignée avec qui vous êtes vraiment. C’est là que réside le véritable accomplissement.
À propos de l’auteur
La Dr Pauline Chiarizia est psychologue spécialisée dans les traumatismes émotionnels, en particulier ceux liés à l’enfance et aux relations, ainsi que dans les troubles du comportement alimentaire. Elle propose des accompagnements en ligne, notamment par la thérapie EMDR, à celles et ceux qui souhaitent mieux se comprendre, sortir de schémas répétitifs, renforcer leur estime de soi, et retrouver un rapport apaisé à leur corps et à leurs relations. Elle aide ses clients à renforcer leur capacité à faire face aux épreuves, à reconstruire une relation de confiance avec eux-mêmes, et à avancer avec plus de sérénité. Son approche vise autant à apaiser les blessures du passé qu’à permettre d’être pleinement présent·e aux moments de joie et d’amour.